Architecte des bâtiments de France, Olivier Godet vient d’entrer à la MRAI du ministère de la Défense. Pour une mission qui, en fait, constitue la synthèse parfaite d’un itinéraire atypique par sa diversité.
Souvent, dans une carrière professionnelle, un épisode, anodin en apparence, en révèle beaucoup plus qu’il n’y paraît sur la personne en cause, sur sa vision profonde de son métier, ses capacités de persévérance et d’obstination pour la faire admettre, contre vents et marées. Dans le cas d’Olivier Godet, cet épisode est tout simple : en 1976, ce tout jeune architecte à peine rentré de coopération au Sénégal postule au PACT-ARIM de Cahors pour une mission de revitalisation d’un quartier sauvegardé et d’assistance aux habitants. À Cahors, les responsables hésitent : ce travail n’est pas “un travail d’architecte”… Il faut les convaincre. Olivier Godet n’hésite pas : il “prend le premier train pour Cahors”, et court s’expliquer. Un architecte, cela fait de l’aménagement, cela participe à la vie des gens… Il est embauché et restera dans le Lot, où il accomplira un énorme travail, durant plusieurs années. Il est vrai qu’au Sénégal, tout frais émoulu d’une école “à l’ancienne” parisienne centrée sur le dessin et la tradition (et même s’il s’est déjà frotté au patrimoine, en restaurant le palais du gouverneur de Saint-Louis du Sénégal), il s’est heurté de plein fouet aux problèmes de l’habitat précaire, des bidonvilles, de ce qu’on appelait alors là-bas le “déguerpissement des populations…” « Cela fait réfléchir », raconte-t-il. !« J’ai vérifié ce que je pressentais : que l’architecture avait besoin aussi d’économie, de social, de technique, qu’elle touchait avant tout à la vie des gens, et se faisait forcément avec eux. »
Ce talent pour “forcer le hasard”, cueillir les opportunités au vol, sentir à quel moment il faut “sortir de la routine”, Olivier Godet va le déployer à plusieurs reprises. Et pas seulement pour lui-même : la “routine”, il n’en veut pas non plus pour le patrimoine, pour l’architecture, pour les habitants, pour les quelques quatre-vingt personnes qu’il sera amené à diriger, plus tard, en tant que chef des constructions publiques et des bases aériennes de l’Équipement de Toulouse… Au fil des ans, il se forge ainsi l’image d’un tempérament résolu, volontiers pionnier, sous des dehors calmes, éloigné de tout excès : « l’impression de froideur qu’il donne parfois, estime l’un de ses anciens directeurs, n’est en fait que la réserve de quelqu’un d’efficace, décidé à aller de l’avant ».
Travailler en s’ouvrant sur des collaborations
Retour en arrière. Dans le Lot, où il bénéficie d’une “formidable accessibilité” de tous les partenaires (investisseurs, municipalité, SDA., CAUE, préfet, architecte-conseil…), il apprend avec voracité le fonctionnement des politiques territoriales, des montages, des rapports avec les habitants, s’emploie avec la calme obstination qui le caractérise à “faire bouger les mentalités” pour rénover la vision de la sauvegarde du patrimoine, encore balbutiante. On me disait : « vous mettrez des toilettes dans les logements, ça ira très bien ! » raconte-t-il en souriant. Au final, en fait, il revitalise complètement l’îlot dit “du lavoir” (opération d’ailleurs primée au palmarès de l’architecture en 1985). « Une cour splendide, cernée de bâtiments des XIVe et XVe siècles, avec des galeries à fenêtres géminées, complètement paupérisée… Maintenant, les gens y viennent, ils s’y promènent. La vie du quartier a changé ». À Figeac, c’est une petite place sise devant la maison natale de Champollion qu’il entreprendra de reconquérir, faisant restaurer un immeuble du XVIIe siècle dans le cadre du logement social. Dans l’espace recréé, l’artiste Kossuth gravera dans le sol les caractères de la pierre de Rosette.
C’est dans Le Lot aussi qu’il rencontre Étienne Cuquel, architecte des bâtiments de France, à qui il avoue “devoir beaucoup” en découvrant une manière de travailler très ouverte sur des collaborations diverses. Il devient son second au service départemental de l’architecture. Et entre, à son tour, en 1985, dans le corps des ABF, dont il présidera l’association entre 1991 et 1994, association à laquelle il s’emploiera, avec le même entêtement tranquille, à conférer un nouveau dynamisme. “Cela représentait beaucoup de travail, c’est vrai. »
« Mais cela s’imbriquait totalement avec nos missions sur le terrain. Nous prenions la relève de cette génération de la fin des années 1970 qui a participé à sauver le patrimoine en “jouant les pompiers”, en aidant à éviter que “tout ne parte à vau-l’eau”. À partir de là, il devenait possible de commencer à s’ouvrir à d’autres champs, hors de la conservation pure et simple. Maintenant, les données ont changé : la sauvegarde est prise beaucoup plus au sérieux, même si les enjeux politiques, institutionnels et budgétaires se sont complexifiés, rendant la tâche parfois difficile. Par exemple, nous avons cherché à nous rapprocher de l’Inventaire des monuments historiques et des richesses artistiques de la France. Un colloque a été organisé conjointement sur les Z.P.P.A.U., et nombre d’actions sont désormais menées en partenariat entre l’Inventaire et les A.B.E sur des études de secteurs sauvegardés. »
L’association, à force de publications, de réunions, de colloques justement, a commencé à changer l’image traditionnelle de l’ABF conservateur, trop cantonné à des missions réglementaires. Son action vise l’ouvrir à bien d’autres domaines, le mettre en contact avec d’autres spécialistes, prendre en charge des formations, en faire un interlocuteur crédible des collectivités locales et du ministère de tutelle de l’époque, l’Équipement.
Sensibiliser la tutelle
En 1989, pour “découvrir d’autres horizons”, Olivier Godet quitte le Lot et entre au Service départemental de l’architecture de l’Hérault.
La situation y est moins privilégiée que dans le Lot où, rappelle-t-il, « était créée en 1977, grâce à la conjonction heureuse de plusieurs personnes, la notion d’assistance architecturale, qui permettra ensuite la création des CAUE ». Il se bat pour faire reconnaître l’utilité des services de l’État dans une région par tradition souvent méfiante à leur égard. Il peaufine ses capacités de diplomatie, renforce son action au sein de l’association, sa sensibilisation du ministère de tutelle… Tout en comptant néanmoins à son actif des opérations d’importance, comme la réalisation d’un musée d’art sacré dans la collégiale de Pézenas, en collaboration avec le conservateur des antiquités et objets d’arts, ou encore l’aménagement de l’accueil du musée archéologique de Nissan-lès-Ensérune. Mais il souhaite trouver l’occasion de ne plus être cantonné “en bout de chaîne” des opérations, de “voir plus grand”. En 1995, “l’épisode du train” se renouvelle, sous une autre forme : un poste de chef des constructions publiques et des bases aériennes se libère à la Direction départementale de l’équipement de Toulouse. Olivier Godet postule. « Il y avait alors, et d’ailleurs encore maintenant, bien peu d’architectes en DDE ! » Une fois de plus, il parvient à convaincre. La fonction d’architecte n’est pas valorisée dans la fonction publique. Ironie de l’histoire : il passe à l’Équipement l’année même où l’architecture est transférée au ministère de la Culture… Mais, là aussi, en bonne entente avec un directeur de l’Équipement qui avait d’ailleurs participé au montage du statut des AUE, il entreprend de prouver que « l’architecture, ce ne sont pas seulement des procédures ». Que l’architecte spécialiste du patrimoine peut faire beaucoup pour le développement qualitatif de tout espace, quel qu’il soit. Qu’il est là pour se demander dès l’amont comment un projet (une école, un service public.) va vivre une fois terminé, s’intégrer dans la vie de la commune, dans le paysage. Il “remue son équipe” des constructions publiques pour les amener à une cohérence d’ensemble de leurs actions, éviter la sempiternelle répétition, des années durant, d’une “routine” -toujours elle- par trop figée. De gros projets naissent pour rénover deux écoles : le campus du Mirail et l’école nationale d’aviation civile. Olivier Godet lance la mise en place des schémas directeurs.
Vers des horizons élargis
C’est son successeur, un ingénieur des Ponts et Chaussées qui en poursuivra la mise en oeuvre : en 1998, un concours de circonstances (mais le hasard n’a-t-il pas, là aussi, été un peu “forcé” ?) appelle Olivier Godet à Paris, pour une mission passionnante : responsable des études de la MRAI, structure d’une quinzaine de personnes, dirigée par Alain Villaret (ingénieur général des Ponts et Chaussées). Cette mission a été créée en 1987 par le ministère de la Défense pour chercher de nouveaux usages et vendre, dans certains cas, l’immense patrimoine immobilier, largement méconnu, d’une armée en pleine restructuration.
Pour mener à bien ses objectifs, la MRAI a découpé la France en secteurs géographiques, chacun placé sous l’autorité d’un de ses membres, pourvu d’un large pouvoir de négociation : un mode de fonctionnement qui facilite le contact avec les collectivités locales, souvent premières intéressées à la reprise de ces actifs. Olivier Godet va donc superviser les études des réutilisations possibles (et toutes les conséquences délicates qui en découlent, particulièrement en milieu urbain et péri-urbain). Des bâtiments de toutes sortes sont mis en vente : casernes, dépôts, forts, sémaphores, ateliers, sans oublier les constructions de la ligne Maginot.
Ce travail constitue une étape importante dans une carrière prometteuse, « une synthèse de tout ce que j’ai fait jusqu’ici », se réjouit Olivier Godet. Qui se retrouve au carrefour du patrimoine, de l’urbanisme, de l’architecture, face à un avenir à modeler, en mesurant tout l’impact qu’il pourra avoir sur la vie future des habitants. Et bien loin de toute routine.
Julie ALBIZZI
journaliste